Faire vivre et transmettre son patrimoine : entretien avec Julie Waseige
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Julie Waseige est historienne de l’art (licenciée de l’Université libre de Bruxelles, 2012),spécialisée dans l’art belge moderne et le surréalisme. Après avoir travaillé comme chercheuse et assistante scientifique aux Musées royaux des Beaux-Arts deBelgique, où elle a assuré la gestion quotidienne du Musée Magritte, elle devient historienne de l’art indépendante en 2016. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages consacrés à René Magritte et au surréalisme publiés chezSkira, Ludion, Hazan et Taschen. Elle a assuré le commissariat de grandes expositions internationales, dont Magritte. La Ligne de vie (Lugano etHelsinki) et Magritte. A Lab of Ideas (Skarhämn). Elle a également été consultante historique pour le documentaire René Magritte. Le maître du mystère (Seven Doc, 2023). Entre 2019 et 2020, elle a occupé la fonction de directrice scientifique de la Fondation Marcel Mariën. Membre du réseau culturel international SALOON depuis 2019, elle est aujourd’hui chroniqueuse culturelle à la RTBF et cofondatrice de Retrace, agence de mise en valeur du patrimoine créée en 2021 avec Annabelle Oliva (www.retrace.agency).
Pourrais-tu te présenter et expliquer en quoi consiste ta profession, ou plus largement ta mission au quotidien?
Je suis historienne de l’art de formation. Avec mon associée Annabelle Oliva, archéologue, que j’ai rencontrée à l’université, nous avons créé Retrace il y a bientôt cinq ans. Retrace est née d’une prise de conscience : beaucoup de personnes ou d’institutions possèdent un patrimoine– qu’il s’agisse d’histoires familiales, d’entreprises, de collections, ou encore de bâtiments – mais ne savent pas comment le raconter ni comment le transmettre. Or, souvent au moment de leur vie où ils veulent partager cette mémoire, ils se retrouvent démunis face aux archives ou aux récits à structurer. Notre rôle, c’est justement de rendre cette mémoire vivante et transmissible. Cela peut prendre des formes très différentes : un livre, une exposition, un site internet, un film… Chaque projet est unique et s’adapte aux envies et besoins de nos clients. Nous nous définissons comme une agence de mise en valeur du patrimoine, parce que notre force est de fédérer les bons profils autour de chaque projet. Annabelle et moi réalisons la recherche et l’écriture, mais nous travaillons aussi avec un réseau de graphistes, vidéastes, imprimeurs, scénographes et experts spécialisés pour créer une véritable “dream team” adaptée à chaque histoire. En résumé, Retrace c’est l’art de transformer un patrimoine en récit, et un récit en héritage vivant.
Si tu devais n’emporter qu’un seul objet avec toi, quel serait il? Et pourquoi?
Un dictaphone ! Parce que je suis une grande voyageuse, plutôt back-packeuse, et j’adore sortir des sentiers battus. Ce qui me passionne en voyage, ce sont les rencontres avec les communautés locales et les conversations qu’on peut avoir avec elles. Par exemple, il y a un an,Annabelle et moi étions aux îles Marquises. C’est un territoire incroyable, souvent méconnu, qui est en réalité un véritable musée à ciel ouvert : on y trouve des sites archéologiques tous les 15 mètres. Là-bas, nous avons rencontré des habitants passionnés, qui se battent pour préserver et faire connaître leur culture. Le dictaphone me permet de garder une trace de ces échanges, de ces histoires, et d’enrichir ma compréhension du monde.
Comment gères-tu tes objets de valeur et leur documentation jusqu’à présent?
J’ai très vite été sensibilisée à la conservation des œuvres, puisque je me suis spécialisée dans l’œuvre de René Magritte. Cela m’a appris une véritable exigence dans la manière de gérer des objets de valeur. Par exemple, j’ai moi-même acquis une petite œuvre sur papier : l’été dernier, au lieu de rester dans mon appartement trop chaud, elle a “voyagé” vers un lieu où les conditions de conservation –température, hygrométrie – étaient idéales. C’est anecdotique, mais ça illustre bien ma rigueur. Avec Retrace, c’est la même approche : nous appliquons une méthode digne d’un musée ou d’une institution publique, mais au service de clients privés. Qu’il s’agisse d’un inventaire dans un château, d’archives familiales ou d’objets d’art, nous mettons en place une gestion précise et scientifique. Mais ce qui est tout aussi important, c’est la manière dont on restitue cette recherche : nos clients n’ont pas besoin d’un rapport de mille pages avec des notes en bas de page.Notre rôle, c’est de transformer cette rigueur académique en récits accessibles, clairs et attrayants, pour que leur patrimoine puisse vraiment être transmis.
“Retrace c'est l'art de transformer un patrimoine en reçit, et un reçit en heritage vivant.
La valeur d’un objet, est-ce financier, ou émotionnel? As-tu un exemple?
Pour moi, la valeur numéro un, c’est la valeur sentimentale. C’est ce que j’adore retrouver chez nos clients, surtout quand un collectionneur me dit qu’il achète avant tout au coup de cœur, sans regarder uniquement la cote ou le prix. Bien sûr, il existe une logique de spéculation et certains choisissent de placer des œuvres dans un coffre. Mais ce qui reste vraiment, ce qu’on transmet, ce sont les objets qui nous touchent personnellement. Je pense par exemple à la bague de ma grand-mère, que j’ai reçue récemment. Ce n’est pas une pièce de grande valeur financière, mais c’est un objet que je vais garder et chérir toute ma vie. Et c’est exactement ça : l’art et les objets ont avant tout du sens quand ils portent une histoire intime, un choc esthétique, une émotion. C’est cette dimension humaine qui, à mes yeux, est la vraie valeur.
Quel conseil donnerais-tu aux gens dans la gestion de leur patrimoine, en particulier dans la gestion de leurs objets?
« Beaucoup de nos clients savent qu’ils ont un patrimoine, mais ne savent pas par où commencer. Pour les aider, nous avons créé il y a deux ans l’atelier “définition de projet”. C’est une séance de 2 à3 heures, un peu comme du coaching. En amont, le client reçoit un questionnaire pour réfléchir à son histoire et à ses envies. Puis, durant l’atelier, on explore ensemble les pistes possibles. À la fin, il repart avec un rapport clair et, s’il le souhaite, une proposition de collaboration – mais sans aucun engagement. Cela permet, avec un investissement de départ très raisonnable, de débroussailler le terrain et de savoir ce qui est possible en termes de temps de budget et d’énergie personnelle.
Je conseille vraiment cet atelier à ceux qui sentent qu’ils ont une histoire à transmettre, mais qui hésitent à se lancer.Car il faut parfois agir vite : nous travaillons par exemple avec un client qui est aujourd’hui la mémoire vivante de sa famille. Quand ces récits disparaissent avec une génération, c’est une perte irréparable. Et je le dis aussi d’un point de vue très personnel: toutes les familles ont une histoire à raconter. Moi, j’ai perdu mes deux grands-pères quand j’étais adolescente, et je regrette de ne pas leur avoir posé de questions. Ils avaient tous les deux été résistants pendant la guerre… J’aurais tellement aimé qu’ils me racontent eux-mêmes, qu’ils m’expliquent leurs histoires, leurs choix, leurs souvenirs. À 15 ans, je n’avais pas cette conscience-là. Heureusement, il reste des archives, mais ce n’est pas la même chose. C’est pour ça que je dis souvent : même si ce n’est pas avec nous, prenez un dictaphone, enregistrez vos proches, profitez d’un dîner de famille pour poser des questions. Parce que ces récits, ce sont eux qui forgent les générations suivantes.
“Nous travaillons par exemple avec un client qui est aujourd’hui la mémoire vivante de sa famille. Quand ces récits disparaissent avec unegénération, c’est une perte irréparable”.
Tu as testé Objectory, qu’en penses tu?
Ce qui m’a marquée tout de suite, c’est la simplicité : je ne me suis pas perdue dans l’application, je n’ai pas eu l’impression de tourner en rond – et ça, c’est quelque chose qui m’énerve souvent avec ce type d’outils. Je pense que c’est un excellent outil, qui répond à un vrai besoin. Le défi sera surtout de gagner la confiance de ceux qui l’utilisent, mais si cette confiance est là, ça peut vraiment changer la donne. Parce qu’au quotidien, quand on travaille avec des collectionneurs, retrouver des papiers ou rassembler toutes les informations sur une pièce est souvent compliqué.
Là, le fait de tout centraliser au même endroit, d’avoir toutes les données accessibles immédiatement, c’est un gain de temps et une vraie tranquillité d’esprit. Je pense que ça va faciliter la vie de beaucoup de monde – et je vous souhaite de conquérir le cœur du plus grand nombre.
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